22 February 2024

Tags: ecologie climat politique civilisation

Coucher des mots sur le papier, aussi numérique soit-il, est une forme de thérapie : faire sortir ce qui doit sortir, organiser ses idées, prendre le temps de la réflexion, se rassurer parfois. Prédire le futur est bien évidemment impossible, mais il y a des ressentis, des signaux plus ou moins faibles, qui peuvent nous donner une idée de ce qui nous attend. Ce billet n’a aucune prétention scientifique, il s’agit plutôt d’une synthèse des nombreuses sources que j’ai lues ou visionnées sur le sujet au cours des dernières années. Au centre de ce texte, une interrogation : est-on en train d’assister à la fin de notre civilisation ? Après tout, l’Histoire est faite de disparitions de civilisations, pourquoi la nôtre survivrait plus qu’une autre ? En trame de fond, la question qui me préoccupe le plus : a-t-on déjà scellé le sort de nos enfants ? A qui s’adresse ce billet ? A ma famille et mes amis, probablement. À mes enfants, sûrement, pour exprimer mes regrets, mes craintes, mais aussi mon espoir envers eux. Enfin à tous celles et ceux qui devraient le lire mais qui ne le feront jamais, certainement.

La genèse

J’ai une sensibilité à la fois sur les sujets écologiques et scientifiques depuis ma jeunesse. Je me souviens encore des conversations avec mon copain Erwan, au collège. Nous arrivions tôt le matin, bien avant le début des cours, et avions entre autres de longues conversations sur la Terre et comment la sauver. A l’époque, nous ne parlions pas de réchauffement climatique : les sujets tournaient essentiellement autour de la pollution, du trou dans la couche d’ozone, de la disparition des papillons de nuit ou des ours polaires.

Dans ce terreau fertile aux idées dites écologistes, j’étais biberonné aux séries SF, et en particulier par Star Trek, série humaniste qui m’a profondément marqué. Il en est ressorti une double culture, à la fois la prise en compte de la sauvegarde de l’environnement, mais aussi un profond respect pour la science et ce qu’elle permet d’expliquer du monde. J’aime la rigueur de la démarche scientifique, ainsi que la capacité à se remettre en question, en opposition aux points de vue dogmatiques que l’on trouve par exemple dans les religions. Agnostique, j’ai cherché mes réponses dans la science et continue de le faire aujourd’hui, notamment en appliquant le principe du rasoir d’Okham.

J’avais déja sur ce blog abordé le sujet du rationnel et des reproches qu’on m’en a fait. Cette rationalité est aussi celle qui me pousse à écrire et partager mon angoisse : lorsqu’on a un "esprit scientifique" et que l’on a les informations dont on dispose aujourd’hui, il est difficile, voire impossible d’être optimiste. Pire, il est difficile d’imaginer autre chose qu’un effondrement pur et simple de notre société. Cette prise de conscience, ce pessimisme, doit se convertir en énergie, en action.

Précisons cependant que lorsque je parle d’effondrement civilisationnel, je me moque éperdument des fantasmes de l’extrême-droite sur le grand remplacement (culturel), de leur racisme, de leur xénophobie : je suis à l’opposé de tout cela, pour moi la "tradition chrétienne de la France" n’est qu’une vaste blague à l’échelle de l’Humanité et je suis de ceux qui pensent que l’égalité des droits n’est pas négociable, quelle que soit son origine, son orientation sexuelle ou politique.

Non, je parle ici d’un effondrement de notre mode de vie basé sur la consommation, la propriété privée et la mondialisation : je parle de la disparition possible de la démocratie et du retour de la guerre et des horreurs qui vont avec.

De quoi parle-t-on ?

Une fois que vous savez ce qui se passe au niveau climatique, il n’y a que trois options possibles : le renoncement, le cynisme ou l’action. Pour mes enfants, j’ai choisi d’agir : c’est notamment pour cela que je me suis lancé en politique, certes à un niveau local puisque limité aux municipales, il y a quelques années. C’est aussi pour celà que je communique beaucoup sur les sujets écologique et politique, quitte à en agacer quelques uns.

Une des premières choses dont il faut prendre conscience, c’est l’urgence climatique. Je discute souvent du réchauffement avec des personnes sensibilisées au sujet, mais paradoxalement, rares sont ceux qui ont vraiment conscience de l’urgence de la situation. Au contraire, on entend dire que les écolos sont pénibles, le RN va même jusqu’à affirmer que le GIEC exagère. Rappelons que le GIEC est un organe international qui synthétise les conclusions de centaines d’études et que de part la nature extrêmement politique de ses rapports, c’est précisément plutôt l’inverse qui se produit, avec des rapports qui proposent différents scénarios, les politiques préférant regarder les plus optimistes.

Récemment, Jean-Marc Jancovici, spécialiste mondial du sujet, inventeur du concept de "bilan carbone" était auditionné au Sénat devant des élus parfois médusés par ses réponses.

1.5 degrés, c’est mort. 2 degrés, sauf chute de comète ou effondrement économique, c’est parti pour être mort.
— Jean-Marc Jancovici
Audition au Sénat du 12 Février 2024

Pourtant, aucune des affirmations de Jancovici, dont je me sens proche idéologiquement au moins sur ces sujets, ne devraient être surprenantes : on le sait depuis longtemps, les rapports s’enchaînent, mais l’inaction persiste.

Une grosse partie du problème est qu’il est difficile pour un être humain, de quantifier par nos simples sens une augmentation de 2 degrés. Aujourd’hui encore, une canicule est systématiquement illustrée par des vacanciers à la plage, là où on devrait montrer des ruisseaux asséchés, des forêts qui partent en fumée, des personnes âgées en détresse, des agriculteurs qui ne peuvent plus arroser leurs cultures.

Il est important de comprendre que 2 degrés, c’est une moyenne mondiale : le réchauffement est plus important dans certaines zones de la planète (les pôles par exemple) et moins dans d’autres. Une différence de 2 degrés à l’échelle planétaire, c’est 3 ou 4 degrés en plus en France (en 2022, nous avons atteint +2.7⁰) Entre -1.8 et -18 degrés, c’est précisément ce qui séparait l’ère glacière de l’ère pré-industrielle. A l’époque, nous avions des glaciers de plusieurs centaines de mètres de haut, l’Angleterre était reliée au continent (les océans étaient 120 mètres plus bas). Si une si petite différence de température pouvait provoquer une telle conséquence, imaginez ce que 2 ou 3 degrés en plus pourraient donner. Précisément, on a du mal à s’imaginer, et c’est pour celà que le GIEC établit des scénarios, des prédictions. Ainsi, il est plutôt rassurant que la France se prépare à un scénario à +4⁰.

Pourtant, lorsque la France est touchée par une "vague de froid" (je le mets entre guillemets parce que ces vagues sont moins fréquentes et moins fortes qu’il y a 20 ans), nous retrouvons ces réflexes climatosceptiques, en confondant météo (temps court) et climat (temps long).

Aujourd’hui nous sommes, mondialement, au niveau de la barre des 1.5 degrés et les conséquences au niveau local se font déja sentir :

A 1.5 degrés, nous avons déja scellé le destin de pays entiers. Les îles Tuvalu, par exemple, vont disparaître. Ce pays est le premier du monde à avoir signé un accord d’asile climatique avec l’Australie. Imaginez-vous votre pays entier disparaître ? Ceci nous semble lointain, pourtant c’est la réalité que sont en train de vivre des millions de personnes dans le monde : leur existence même est menacée. Que feriez-vous si vous ne pouviez, physiquement, plus vivre en France ? Laissez-moi penser que les obsessions migratoires de politiciens et autres consultants du bar du coin sont d’un tel ridicule comparé à ce qui nous attend…​

Nous sommes en avance sur les 1.5 degrés prévus par le GIEC: pour la première fois, les +1.5⁰ ont été dépassés pendant 12 mois consécutifs.

A 2 degrés, nous savons déjà que la sécurité alimentaire ne sera plus assurée, que des conflits liés aux migrations climatiques vont éclater, pour l’accès aux ressources et pour justement empêcher les migrations de personnes qui cherchent simplement à survivre. Fantasme ? Regardez par exemple ce qui se passe entre l’Iran et l’Afghanistan pour l’accès à l’eau potable.

A 2.5 degrés, certaines régions du monde, en particulier en zone tropicale, deviennent inhabitables. Les rassuristes avancent que l’homme a toujours su s’adapter, mais il existe cependant des limites physiologiques, la réalité scientifique s’impose à tous. Au-delà d’un certain seuil, la combinaison de la température et de l’humidité ambiante rend inefficace le mécanisme de transpiration. Nous mourrons, il ne s’agit pas d’une opinion, mais d’une réalité devenue tristement célèbre l’été dernier lors d’un concert de Taylor Swift.

De la difficulté des ordres de grandeur

Un des problèmes majeurs du réchauffement climatique est qu’il est, même en étant sensible au sujet, difficile de se rendre compte des ordres de grandeur. J’étais par exemple déjà sensibilisé au sujet, mais, malgré tout, je continuais à prendre l’avion en particulier pour mon travail. Je savais que l’avion était mauvais pour le climat, mais je n’avais aucune idée d’à quel point : on sait que c’est mauvais, mais rares sont ceux qui nous donnent les ordres de grandeur. On se retrouve ainsi avec des politiques qui nous incitent à éteindre nos appareils en veille mais nous proposent de faire un aller-retour à Rome pour 100€ ou moins par avion ! Des non-sens écologiques, mais pas économiques : un aller-retour Paris-Dubaï par exemple, c’est l’équivalent de votre budget carbone annuel selon les accords de Paris ! Des outils existent désormais pour évaluer votre impact et des activistes comme Bon Pote font un excellent travail pour décrire les problèmes inhérents à l’industrie aéronautique.

Habitué des conférences à l’international pour mon travail, ma prise de conscience sur ce sujet particulier fut aussi tardive que brutale. J’en ai ai encore honte. J’ai cependant pris la décision, voici un peu plus de 4 ans, de ne plus prendre l’avion et de n’assister qu’aux conférences auxquelles je peux me rendre par train. C’est pourtant un vœux pieux, puisque je reste un être humain : que ferais-je lorsque mon entreprise me donnera le choix entre prendre la porte ou donner une conférence à San Francisco, ou une réunion de travail au Maroc ? Ce problème est aussi sujet de tensions familiales, entre les vœux légitimes de "voyager", d’explorer le monde et ses merveilles, et mon obstination à dire non. Combien de temps résisterais-je à cette pression ? Une bonne partie de ma carrière s’est construite sur le fait de rencontrer des experts de mon domaine à l’étranger, mais aussi à partager mes connaissances : je suis le fruit du réchauffement climatique. Quelle légitimité ai-je à vous "faire la morale" et vous demander, à vous, d’y renoncer ? Qui suis-je pour refuser ce que j’ai moi-même fait ?

Je n’ai pas de bonne réponse à cette question, si ce n’est de faire appel à votre sensibilité. D’autre part, je ne serai pas de ceux qui vous jugent pour vos choix : je suis le premier plein de contradictions et nous faisons, chacun, nos choix en fonction de ce que nous savons à un instant T, de nos contraintes, et finalement de nos convictions. Pour certaines décisions, nous avons le choix et certaines décisions seront plus faciles à prendre pour vous que pour moi, et inversement !

Il est bien plus facile pour un citadin de se séparer de son SUV que pour quelqu’un qui n’a pas accès aux transports au commun en zone rurale. Inversement, manger local et faire travailler producteurs locaux est plus simple pour un rural qu’un citadin. Chacun de nous, à notre échelle, faisons des choix qui nous semblent opportuns compte-tenu de nos situations personnelles.

Prenons donc ces ordres de grandeur en exemple. Pour respecter les accords de Paris et limiter le réchauffement climatique à 2 degrés, notre empreinte carbone, par personne, doit tomber à 2 tonnes par an. A ce jour, les estimations varient, mais l’empreinte carbone d’un français est de l’ordre de 10 tonnes par an.

empreinte carbone

En France, 31% des émissions sont liées au transport, donc à la voiture individuelle et aux transports de marchandises, c’est dire si le sujet de la voiture est important. Pourtant, que constate-t-on ? L’automobile est le 2d plus gros contributeur à la publicité en France, avec environ 1500€ de budget communication par voiture. Notre Président aime la bagnole et envoie un message désastreux. Bruno Le Maire, devant trouver 10 milliards d’économies, choisit de le faire sur l’environnement et les mobilités. En clair, on nous vend des voitures au lieu de nous vendre des vélos électriques, dont l’empreinte carbone est 20 fois inférieure.

Ce site montre l’évolution de l’empreinte carbone par tête et par pays, depuis le début de l’ère industrielle. Il y a 2 choses importantes à comprendre :

  • l’empreinte carbone est directement corrélée au niveau de vie des habitants. Plus on est riche, plus on consomme. Plus on consomme, plus notre empreinte est forte. L’empreinte carbone est 10 à 50 fois plus forte dans les pays industrialisés qu’en Afrique. Ainsi, il est complètement faux d’affirmer, comme Nicolas Sarkozy, que la crise démographique est responsable de la crise climatique. Ça n’est pas le nombre de personnes qui compte, mais leur capacité à consommer. Diminuer la population serait donc une solution…​ à condition de le faire dans les pays développés !

  • l’empreinte carbone est essentiellement impactée par la consommation d’énergies fossiles (pétrole et charbon). C’est ce qui explique que l’empreinte carbone d’un français est plus faible que celle d’un allemand ou d’un polonais : là où ils utilisent des centrales à charbon pour se chauffer et faire tourner leurs industries, nous avons des centrales nucléaires.

Sur ce sujet du nucléaire, soyons clairs : je suis écolo et pour. Lorsqu’on connaît ces ordres de grandeurs, lorsqu’on sait qu’environ 240 000 personnes meurent en Europe tous les ans à cause de la pollution atmosphérique principalement liée à la combustion de charbon, la position écologique anti-nucléaire traditionnelle est difficilement tenable. Cette position anti-nucléaire, je l’avais de part de mes lectures lorsque j’étais gamin (Pif’Gadget, Greenpeace, des positions essentiellement liées à la peur du nucléaire, des accidents et de leurs terribles conséquences. Ça, c’était avant d’avoir pris le temps d’étudier le sujet. J’ai depuis largement révisé ma position et suis convaincu qu’on ne pourra pas s’en sortir sans nucléaire. Il d’ailleurs assez ironique de constater que la biodiversité a fortement augmenté à Tchernobyl, depuis que la zone n’est plus occupée, de quoi être optimiste sur la résilience des écosystèmes si nous devions disparaître !

Ceci ne veut pas dire qu’on ne peut pas développer les énergies renouvelables, bien au contraire, mais il faut encore une fois avoir les ordres de grandeur en tête. Vous trouverez des chiffres différents selon les estimations plus ou moins pessimistes (notamment le facteur de charge), mais il faut comprendre que pour remplacer 1 seul réacteur nucléaire, il faut environ 1000 éoliennes ou 55 km² de panneaux solaires. Nous avons 56 réacteurs en France…​ Sans réduire notre consommation électrique, ceci signifie que nous devons exacerber encore plus la concurrence pour l’occupation des sols : doit-on s’en servir pour produire de la nourriture, de l’énergie, du logement ou la laisser libre pour la biodiversité ?

Est-il dès lors si surprenant que l’Allemagne ait dù raser des villages entiers pour exploiter le charbon nécessaire à la remise en marche de ses centrales ? Une bombe climatique ! Doit-on ensuite s’étonner que ces exemples soient repris par les réactionnaires pour décrédibiliser toute action de protection de l’environnement ?

Voilà le noeud du problème : notre société moderne est bâtie sur la consommation massive d’énergie, en particulier du pétrole, et à moins de réduire drastiquement cette consommation, nous ne pourrons tenir nos engagements. A l’heure actuelle, il faudrait réduire de 5% par an notre consommation d’énergies fossiles pour y arriver. Cette consommation étant directement corrélée à la sacro-sainte croissance, il s’agit ni plus ni moins que d’avoir l’équivalent d’un COVID, tous les ans ! Nos politiques ont déja renoncé, personne n’étant prêt aux sacrifices que celà implique.

Note
On m’a posé la question de la chaîne d’approvisionnement d’uranium, qui peut être problématique. C’est vrai, mais uniquement si nous restons à cette génération de réacteurs. La 4ème génération, les surgénérateurs sont capables d’utiliser les produits dérivés de la fission et nous donnent suffisamment de ressources pour des siècles de consommation. Pourtant, ce sont tous les expérimentateurs qui ont été mis à l’arrêt (Superphénix ou Astrid). Un gâchis dénoncé par Yves Bréchet lors de son audition au Sénat.

De sacrifices, pourtant, c’est de cela qu’il s’agit. Sacrifier nos générations futures, ou sacrifier notre mode de vie. Nous vivons toujours selon le mythe d’une croissance infinie : toute notre société est bâtie sur ce seul concept économique qui n’a aucun sens physique. La réalité physique des choses est pourtant implacable : il n’existe pas de croissance infinie dans un monde fini. Là encore, il est indispensable de parler d’ordres de grandeur : une croissance à 2% signifie un doublement de la valeur tous les 36 ans. Qui dit valeur dit production, dit consommation d’énergie, dit impact sur l’environnement.

Dit autrement, la croissance est une courbe exponentielle : il s’agit du genre de courbes que l’on ne souhaite pas voir.

annual co2 emissions per country

N’est-il pas inquiétant de constater que dans ce graphique, des crises majeures comme les chocs pétroliers des années 70 ou le COVID n’ont eu que peu ou pas d’influence sur notre consommation ?

Une autre visualisation de la notion d’exponentielle, c’est celle des anomalies de température, produite par la NASA. Une animation que je trouve particulièrement efficace pour comprendre l’effet d’emballement :

Cette exponentielle explique pourquoi le développement des énergies renouvelables ne s’est pas faite au détriment des énergies fossiles : elle s’est faite essentiellement en complément, parce que nous avons toujours besoin de plus d’énergie pour maintenir cette croissance.

Ainsi, si la consommation de charbon dans la production énergétique mondiale baisse en pourcentage, le volume n’a jamais été aussi élevé ! Une mauvaise nouvelle à cependant relativiser, puisque la production de charbon baisse : en effet, dans des pays tels que l’Allemagne, les renouvelables sont destinés à remplacer les centrales à charbon.

Le problème des courbes comme celles-ci est que les prévisions deviennent presque impossible à formuler, on entre dans le domaine de l’inconnu, et les esprits scientifiques comme moi n’aiment pas cela. Serge Zaka, docteur en agroclimatologie, décrit des phénomènes de réchauffement des océans statistiquement impossibles (autrement dit, les marges dépassent ce que la statistique classique considère comme possible).

Cette question de la croissance, pourtant, est au cœur de notre survie. Attention, je ne parle pas de la survie de l’espèce, ni même de "sauver la planète". En effet, même en étant pessimiste, je pense que l’espèce humaine survivra. En revanche, ne comptez pas sur moi pour vous dire combien survivront : mon intuition, compte-tenu des paramètres dont nous parlons ici, est que nous risquons de voir une nouvelle crise majeure. Et quand bien même l’espèce humaine ne survivrait pas, la vie, elle, continuera sans nous : elle existait avant, elle existera après.

C’est l’histoire d’un skieur qui se répétait "jusqu’ici tout va bien"

la haine

Pour prendre une analogie, nous sommes un peu dans la situation d’un skieur du dimanche : il descend sa piste, il à se sent à l’aise. Il accélère, prend plaisir, jusqu’à se rendre compte qu’il a pris trop de vitesse, que la pente est bien trop raide et qu’il ne peut plus maîtriser sa course. En bas, un croisement, d’autres skieurs, il est trop tard pour s’arrêter et il n’y a que 2 solutions :

  1. virer, se laisser tomber, quitte à se casser une jambe, pour éviter le groupe

  2. continuer et entrer en collision, en entraînant de nombreuses autres personnes dans la chute et potentiellement de nombreuses victimes

M’est avis que beaucoup de personnes choisissent instinctivement la 2ème solution, parce que la première n’est pas confortable et que notre instinct de préservation nous joue des tours : incapable d’anticiper des conséquences encore pires à long terme, notre espèce se mure dans le déni et choisit la solution la moins logique. Pire, notre tendance naturelle est, souvent paradoxalement de bonne foi, de déresponsabiliser. Les exemples sont nombreux : mettre des radars automatiques au lieu d’apprendre à respecter les limites, demander aux enfants de mettre des gilets jaunes au lieu de sécuriser les routes, dire aux filles de se couvrir au lieu de demander aux garçons de cesser de les voir comme des objets sexuels, demander d’éteindre vos box internet au lieu de prendre votre vélo pour aller chercher du pain…​

Rassurisme et techno-solutionnisme

Maintenant que le réchauffement climatique est palpable et subi par les plus sceptiques d’entre nous, un nouveau mal est en marche : le rassurisme. Se substituant au climato-scepticisme, il consiste à affirmer que nous nous en sortirons toujours, que l’homme s’est toujours adapté, que nous trouverons des solutions techniques, et cætera, et cætera. Le rassurisme est une plaie parce qu'il incite à l’inaction. Agréable discours à entendre, il est le parfait compagnon du status quo, sous couvert de discours "de bon sens", mais aussi un risque encore plus grand pour l’avenir. Je classe dans le rassurisme le discours techno-solutioniste que nous entendons de plus en plus.

Prenons par exemple l’idée souvent commentée de la séquestration du carbone : pourquoi ne pourrions-nous pas l’extraire de l’atmosphère ? A priori, l’idée n’est pas idiote, si on peut le faire il serait idiot de s’en passer. Pourtant, il suffit d’un tout petit peu de recherche pour se rendre compte des problèmes. Lorsqu’on parle de concentrations de CO², nous parlons de parties par million. Par exemple, 200ppm, ce sont 200 molécules de CO² sur 1 million : c’est une concentration extrêmement faible, mais qui a des effets dévastateurs. Si vous avez quelques souvenirs de physique, je vous conseille d’ailleurs cette excellente vidéo de Science Etonnante sur les mécanismes du réchauffement et le mythe de la saturation du réchauffement. Si tant est que nous disposions d’une technologie de "nettoyage", il faudrait brasser une quantité d’air phénoménale pour l’extraire et pour brasser cet air, il faudrait une quantité non négligeable d’énergie…​ En clair, il s’agit donc souvent plus de "coups de com'" d’entreprises cherchant avant tout à faire de l’argent sur le dos du climat, peu recommandables…​ mais pour lesquels des investisseurs peuvent se laisser séduire.

Un autre exemple, c’est la la colonisation de Mars, annoncée par Elon Musk. Peut-on être sérieux seulement 5 minutes ? Il n’est pas surprenant que les seuls qui y croient soient des économistes, c’est avant tout le modèle de la fuite en avant : puisqu’on ne peut pas sauver notre planète, rendons-en une autre vivable ! L’idée est d’autant plus ridicule qu’on ne sait même pas contrôler le climat ici, en premier lieu lutter contre le réchauffement climatique, alors que dire lorsque l’on parle de changer le climat d’une planète dont on ne sait presque rien…​ C’est une chose que de vouloir fouler Mars du pied, s’en est une autre que de la terraformer.

Mais un des problèmes de la croissance et de l’évolution de la technologie et de l’information, c’est qu’elle rend possible des actions individuelles aux conséquences potentiellement catastrophiques, au premier rang desquelles la géoingénierie. Ainsi, un article particulièrement inquiétant montre que nous disposons de moyens de diffuser économiquement du sulfure dans l’atmosphère, pour refroidir l’atmosphère'. Même avec des conséquences terrifiantes, telles que des pluies acides, ou le simple fait qu’arrêter d’en diffuser entraînerait un réchauffement massif encore plus grand, le fait est que ça pourrait fonctionner en pratique. Nous sommes donc en plein dans ce que j’expliquais plus haut : plutôt que de résoudre le problème à sa source, on continue, quitte à avoir des conséquences bien pires plus tard. Lorsqu’une technologie est disponible, elle est utilisée. La question n’est donc pas de savoir SI, mais QUAND elle sera utilisée, soit par un riche milliardaire qui souhaite continuer à faire du profit en dépit du bon sens, ou d’un Etat qui lutte pour sa survie. Si vous vous rappelez de l’horloge de l’apocalypse, il me semble qu’on se rapproche dangereusement de minuit…​

L’autre effet pervers du techno-solutionnisme, c’est que si tant est qu’il fonctionne, il n’incite pas à la sobriété. Ainsi, toutes les évolutions technologiques qui ont permis de faire des économies n’ont in fine pas eu pour conséquence de réduire la consommation. Par exemple, les moteurs thermiques sont aujourd’hui beaucoup plus efficaces qu’avant, mais les économies ont servi à augmenter l’autonomie ou à avoir des voitures plus grosses : c’est l’effet rebond.

Ainsi, toutes ces évolutions technologiques ne sont en pratique là que pour supporter un modèle de consommation constant. Un autre exemple ? Le rendement à l’hectare de la production agricole a été multiplié 3 depuis 1960, par plus de 10 depuis le début de l’ère industrielle :

On se rend bien compte du mensonge qui consiste à dire qu’il faut bien continuer ce modèle pour nourrir la planète : nous pourrions utiliser les gains de productivité à l’hectare pour nourrir plus de monde mais nous avons choisi de les investir dans des biocarburants pour faire rouler des voitures, ou dans de la production industrielle de produits transformés qui menacent notre santé. Pour autant, les revenus des agriculteurs ne cessent de chuter, les famines n’ont pas disparu (essentiellement pour des questions de logistique) et les maladies cardiovasculaires explosent. Nous produisons largement plus que ce que dont nous avons besoin pour survivre, mais nous "produisons de la croissance" en transformant les produits. Là où au début du siècle, l’essentiel de la consommation se faisait du produit brut au consommateur, désormais l’essentiel se fait par des produits transformés. L’abondance est illustrée par ce graphique représentant l’apport calorique par habitant :

daily per capita caloric supply

A celles et ceux qui répondront que plus d’apport calorique c’est une meilleure santé, rappelons que nous avons besoin d’entre 2000 et 2500 calories par jour, un seuil qui a été franchi au début des années 1820. Depuis, nous sommes bien au-delà, ce qui explique notamment l’explosion de l’obésité et des maladies cardiovasculaires (en combinaison avec la sédentarité permise par l’exploitation des machines).

Ainsi, la croissance n’est pas nécessairement synonyme de progrès : au delà d’un certain seuil, elle devient maladive et entraîne plus de maux que de bien.

Les prémisses de cette constatation ne datent pas d’hier, le club de Rome s’en faisait écho il y a 50 ans déja. De nos jours, rares encore sont les économistes qui défendent la décroissance. En France, des chercheurs comme Timothée Parrique montrent avec brio que la décroissance ne peut plus être considérée comme un gros mot. Au contraire, elle devient nécessaire, comme le laisse entendre ce titre "ralentir ou périr".

Il ne faut pas non plus confondre le techno-solutionnisme avec l’utilisation des techniques permettant de limiter l’impact de notre consommation. Certains outils seront indispensables, mais si nous devons répondre à une solution d’urgence, il est préférable de le faire avec les technologies dont on dispose, pas de celles dont on ne sait pas si elles seront disponibles dans 10 ans.

Pourquoi un effondrement ?

Nous l’avons vu, la conjoncture n’est pas favorable, loin de là. Nous savons, nos gouvernements savent, mais rien ne change. N’était-ce pas Emmanuel Macron qui nous a promis que son quinquennat "sera écologique ou ne sera pas" ? Nous avons la réponse : après le une convention citoyenne sur le Climat vidée de sa substance, après le sacrifice de l’écologie au profit des agroindustriels qui nous confortent dans ce modèle, il n’y a a que du cynisme dans les décisions politiques. Même au niveau local, dans ma commune, la majorité se gausse à coups de croissance verte, un concept qui ne parle qu’aux économistes et qui n’a jamais démontré le moindre succès. Encore une fois, il n’y a rien de surprenant : un niveau de base en mathématiques ou de physique suffit à comprendre qu’on ne peut faire de croissance sans sacrifier de ressources, ce qui se traduit soit par de la pollution, soit par du réchauffement climatique. Dans ma commune, on construit encore des supermarchés en périphérie comme dans les années 70 et on moque les écologistes "décroissants", "contre l’emploi" et "pour l’insécurité". Qu’importe l’état catastrophique des cours d’eau, que l’eau doivent être importée de Loire-Atlantique pour subvenir aux besoins d’industries agroalimentaires locales bien connues, puisqu’on a la croissance ! Qu’importe que l’on doive construire sur des terres agricoles pour loger tous les néo-ruraux attirés par la croissance économique du territoire…​

Nous constatons là que malgré toutes les informations disponibles, nous sommes dans la situation du skieur qui ne peut plus s’arrêter; il y aura des dégâts !

Cependant, pas de quoi prophétiser un effondrement civilisationnel, me direz-vous. Certes, mais il y a plus : c’est la conjonction de facteurs qui peut entraîner notre chute.

Nous avons mentionné que dans le dérèglement climatique, l’essentiel du problème était concentré autour des énergies fossiles. Cependant, d’autres problèmes d’ampleur sont eux aussi liés à notre modèle de développement : l’effondrement de la biodiversité par exemple. Nous sommes entrés dans une nouvelle phase d’extinction de masse, tellement bien documentée qu’elle porte un nom: l’extinction de l’Holocène :

global living planet index

En 50 ans, plus de la moitié du monde sauvage a disparu. Je ne sais pas si vous vous rendez bien compte : l’homme est présent sur Terre depuis plus de 4 millions d’années, Homo Sapiens depuis 300000 ans environ, et en seulement 50 ans, nous avons détruit plus de la moitié des espèces. Pour la biodiversité marine, la situation est encore pire, avec la surpêche, l’augmentation de la température et l’acidification des océans. Depuis plus de 6 mois, nous vivons une véritable canicule marine, mais qui en a entendu parler ?

Or, l’homme fait partie d’un écosystème : nous vantons notre adaptabilité, mais nous sommes les premiers dépendants de notre environnement. Le détruire, c’est directement menacer notre survie : il faut être fou pour croire que l’homme peut survivre seul.

Devant l’opposition à la décroissance, ou même simplement les appels à la sobriété, les discours les plus réactionnaires sont en marche. Il n’y a pas de quoi être optimiste, lorsqu’en France, un ministre traite des militants écologistes d’éco-terroristes, mais en même temps, soutient des agro-industriels qui mettent le feu à des mutuelles…​ Là encore on pourrait croire à de l’ignorance, mais il s’agit d’un cynisme sans nom : tous savent pertinemment ce qui se profile, mais aucun n’a le courage politique pour faire ce qui est vraiment nécessaire : un nouveau modèle de société basé sur la sobriété. Que dire d’un pays où l’on s’émeut plus facilement d’une boîte de soupe versée sur un tableau protégé derrière une vitre en verre, que de plusieurs centaines de morts en Inde suite à la canicule…​ Pas vraiment de quoi être optimiste.

On pourrait s’arrêter là mais d’autres signaux sont tout aussi inquiétants. Je rappelais par exemple à quel point notre société moderne est basée sur les énergies fossiles. Le graphique ci-dessous montre par exemple la répartition de la consommation énergétique par filière :

energie par filiere

La baisse en 2020 est liée au COVID, mais ne nous y trompons pas : à l’échelle mondiale, les énergies fossiles dominent : les renouvelables représentent une part croissante de la production, mais ne sont comparables qu’au parc nucléaire, les énergies fossiles sont largement dominantes. Dans ce portrait, la situation du pétrole est plus critique : nous savons que les réserves s’épuisent. Que l’on décide de s’en passer volontairement ou non, nous arriverons avant la fin du siècle à la fin du pétrole.

Or, dans de nombreux domaines, nous sommes complètement dépendants du pétrole, non pas en tant que source d’énergie, mais de matière première :

  • pharmacologie

  • agriculture (machines, mais aussi engrais)

  • santé

  • textiles

  • cosmétiques

  • …​

Il ne vous aura pas échappé que l’Europe ne dispose pas ou peu de cette ressource. Préférons-nous continuer à brûler ce qui nous reste pour voyager pour 500€ à l’autre bout du monde, ou pour produire notre nourriture et fabriquer nos médicaments ? Mon choix est vite fait…​

A court ou moyen terme, la dépendance de l’Europe au pétrole signifiera un asservissement aux pays qui en disposent (si tant est qu’ils soient disposés à nous en vendre). Sachant que ces pays ne sont pas ce qu’il y a de plus démocratique, la question du respect des droits humains pourrait à moyen terme devenir un vague souvenir. Dès lors quels choix s’offriront à nous ? Entrer en guerre pour leur "voler" ces ressources ? Les forcer à nous en vendre ? A quel prix ? Comment ?

Le remplacement du pétrole en tant que source d’énergie est possible mais requiert une électrification massive de nos moyens de subsistance (transports, machines outils, industries, …​) et une relocalisation de la production, le transport maritime dépendant essentiellement de cette ressource. Or, qui dit électrification dit augmentation de la production. De quels moyens disposons nous pour remplacer une telle quantité d’énergie ? L’écologie n’est jamais aussi mauvaise que lorsqu’elle ignore la réalité physique des choses.

Les pays qui disposent de ces ressources, donc, ne sont pas particulièrement amicaux. Nous parlons de pays dont les actions récentes n’augurent pas d’un avenir radieux pour l’Europe, mais aussi pour leurs propres populations : la Russie, la Chine, …​ La Russie, qui ne cesse d’étendre son influence sur un continent Africain avide de "revanche" sur la colonisation et l’exploitation de leurs ressources par l’Occident. Certes la Russie n’est pas animée par la bonté de réparer les erreurs de l’Occident, elle souhaite tout autant s’accaparer les ressources minières du continent et par là donc disposer de moyens de pression…​ pour gagner sa "guerre civilisationnelle", mais le message est passé, la France doit s’en aller !

Cette guerre civilisationnelle, des gens comme moi y participent malgré eux. Ceux qui me connaissent savent à quel point, notamment, je lutte contre mon envie de quitter mon métier. A vrai dire, si je n’avais ni famille, ni crédits sur le dos (comme tout le monde), je crois que j’aurais déjà abandonné ce qui est pourtant une de mes passions.

En effet, en tant que développeur, non seulement je contribue massivement au réchauffement climatique (le numérique représente une part de la consommation d’énergie mondiale en explosion, notamment à cause de l’explosion du nombre de terminaux), mais j’ai aussi donné des outils de manipulation de masse, utilisés comme tels, par des puissances qui cherchent à nous déstabiliser. Les réseaux sociaux, notamment, sont devenus de véritables poubelles où les idées complotistes, antivax, climatosceptiques sont promues bien plus que les autres. Les idées dites "de droite" sont favorisées par les algorithmes de Twitter/X et les manipulations de la Russie déstabilisent nos démocraties. Savoir que ce que je développe sert à l’effondrement de la société et à la propagation des idées les plus nauséabondes me rend malade.

Force est de constater que le populisme monte en flèche : il a gagné au Brésil (Bolsonaro), aux Etats-Unis (Trump), au Royaume-Uni (Jonhson), en Hongrie (Orban), aux Pays-Bas (Wilders), en Argentine (Milei). Il faut être sacrément optimiste pour croire que la France puisse miraculeusement échapper à ce fléau. Pour autant, une fois en place, nous savons ce que ces gouvernements pensent de l’économie et donc de l’écologie. Pire, nous savons ce que ces personnes pensent du droit des femmes et plus largement de toute personne ne pensant pas comme eux. Je vous invite d’ailleurs à écouter cette interview de Véra Nikolski et Jancovici sur la fin de l’ère du pétrole et ses conséquences sur la démocratie et le droit des femmes.

Les idées qui sont promues dans nos sociétés modernes sont incompatibles avec nos objectifs climatiques : nous devons tous travailler, devons être encore et toujours plus productifs. Les outils que nous concevons, en informatique, font gagner de la productivité, mais cette productivité n’est pas rendue au travailleur pour du temps libre, elle est réinvestie en plus de croissance.

Produire, consommer, produire, consommer, produire…​ "pouvoir d’achat" et zéro chômage érigés en totems.

Ce que je constate donc tous les jours est une fuite en avant, doublée d’un déni, mais pire encore, une réaction exactement inverse à ce qu’il faudrait faire pour maintenir notre consommation sous les limites planétaires. Dès lors, la question de l’effondrement civilisationnel se pose : si tant est que nous prenions le virage, qu’en est-il des pays qui ne le feront pas et auront la capacité à nous menacer, précisément parce qu’ils auront fait le choix inverse ? C’est un dilemme auquel je n’ai pas de réponse, mais d’autres questions ne sont pas agréables à entendre :

Que ferons-nous lorsque les populations qui ne pourront plus vivre dans leur pays frapperont à notre porte ? Que ferons-nous lorsque nous ne pourrons plus importer nos médicaments, faute de moyens de transport longue distance ? Que ferons-nous lorsque l’Afrique nous demandera des comptes pour l’exploitation de ses ressources ? Que ferons-nous si nous n’avons plus de pétrole pour faire rouler nos tanks, voler nos avions et nous défendre contre des pays en quête de conquêtes territoriale, économique ou culturelle ? Que ferons-nous lorsque nous aurons tellement détruit nos services publics (transports, écoles, hôpitaux, production électrique) que nous serons dépendants de services commerciaux dont la seule survie ne dépend que de leurs marges ?

La mondialisation nous a paradoxalement mis dans une situation extrêmement précaire, l’Europe d’aujourd’hui est incroyablement fragile. Tout ça au nom de la sacro-sainte croissance, un concept qui rappelons-le, n’a aucun sens physique, c’est une pure construction mathématique permettant d’évaluer l’activité économique d’un pays.

Or, l’activité économique ne se mesure pas qu’à l’aube de ce qui s’achète. C’est pourtant ce que nous faisons tous les jours. Ainsi, le comptable qui travaille bénévolement dans une association humanitaire fait le même travail que le comptable qui travaille dans une entreprise d’extraction de minerais. L’un ne contribue pas au PIB, l’autre oui. Leurs contributions au bien-être de l’humanité sont elles pour autant comparables ?

Se passer de la croissance n’est pas sans poser des problèmes, tant elle est au cœur de notre société. Sans croissance, point de retraites, tout un monde de solidarité à réinventer ! Quelle entreprise accepterait volontairement de ne pas croître, alors que cela menacerait directement sa survie face aux concurrents qui, eux, prendront la décision de continuer ?

Pourtant, décroître l’industrie automobile, responsable d’une grande partie du réchauffement, de morts sur la route, de la pollution aux particules fines, ne serait que bénéfique pour notre société. Nous ne parlons pas de la supprimer du jour au lendemain, mais de planifier notre sortie. De même, l’opulence de agro-industrie devra disparaître, c’est une question de survie, au profit d’une agriculture raisonnée : produisons moins, mais de meilleure qualité, avec des revenus décents et moins de transformations. A court terme, achetons des Fairphone plutôt que des Vision Pro, achetons des produits réparables plutôt que des produits pas chers mais écologiquement aberrants. Les leviers sont nombreux, il faut "simplement" une volonté politique. Réapprenons à mutualiser, nous pouvons inventer de nouveaux modèles basés sur la coopération.

Plus nous attendons, moins les mesures que nous devrons prendre seront socialement acceptables et plus le risque de révolution sera important. Il n’est pas surprenant qu’on utilise l’expression d’écologie punitive, dans ce contexte, alors que le plus punitif, ce sont les conséquences directes de la surexploitation de notre environnement : inondations, sécheresses, maladies, incendies, …​ La punition est vécue de plein fouet par les agriculteurs qui perdent leurs récoltes, des entrepreneurs qui voient leur camping partir en fumée, des habitants qui voient leur habitation détruite par des inondations ou des tornades…​

En conclusion, tout semble converger vers l’idée d’un crash massif à venir : c’est la combinaison du réchauffement climatique, de l’effondrement de la biodiversité, du mythe de la croissance infinie, de la montée du populisme et de la raréfaction des ressources fossiles qui rend cet avenir possible.

Jamais ne n’aurais pensé, lorsque je discutais dans cette cour de récréation, voir cela de mon vivant.

Désormais, non seulement je le vois venir mais je le vois de plus en plus probable. Je ne saurais quantifier, mais pour moi nous sommes sortis du domaine du possible pour entrer dans celui du probable. Je n’ai pas de solutions miracles, sans changement fondamental de notre mode de vie, mais j’ai des questions, des craintes et aussi un message à faire passer : il est encore temps. La première de nos libertés, c’est encore de voter, faisons le tant que nous en avons encore la possibilité.